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Européennes : les déboires d’Atos parasitent les ambitions de Thierry Breton

Européennes : les déboires d’Atos parasitent les ambitions de Thierry Breton

by host

PARIS — Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, a toujours su mettre en avant son parcours de dirigeant d’entreprise, anciennement à la tête d’un fleuron français du numérique, pour servir ses ambitions politiques.

Manière d’assumer sa différence dans une ville tenue par des diplomates et des haut-fonctionnaires pas toujours rompus aux lois du business.

Mais alors que la vente d’Atos défraie la chronique à Paris, ce passé dans le secteur privé commence à ressembler davantage à un handicap qu’à un atout.

Atos, que Thierry Breton a dirigé de 2009 à 2019, était autrefois un joyau de l’écosystème numérique français, fruit de fusions successives qui en ont fait une multinationale des services informatiques évaluée à environ 5 milliards d’euros. Minée par des difficultés stratégiques, l’entreprise a pourtant pris l’eau après le départ de son patron pour Bruxelles. En quelques années, sa valorisation a chuté à environ 500 millions d’euros et certaines de ses principales divisions devraient être vendues à l’entrepreneur tchèque Daniel Křetínský.

La classe politique française n’a pas manqué de s’emparer du sujet. Outre sa portée symbolique — un champion français de plus mordant la poussière — des questions de sécurité nationale sont en jeu. Les supercalculateurs d’Atos sont utilisés pour les simulations d’essais nucléaires, coeur de la dissuasion.

Les sénateurs des Républicains ont notamment émis l’idée de créer une commission d’enquête pour examiner les raisons de l’effondrement de l’entreprise, tandis que des députés PS et LR ont voté en faveur d’un amendement visant à nationaliser partiellement Atos.

Thierry Breton se défend d’être responsable des problèmes actuels de l’entreprise.

Ses ambitions politiques sont connues : le commissaire a déclaré qu’il était ouvert à l’idée de devenir le prochain président de la Commission européenne. Et bien qu’il reste discret, officiellement, sur son envie d’être tête de liste macroniste pour les élections européennes, sa présence accrue à Paris et sur les plateaux de télévision français laisse penser à ceux qui connaissent l’animal politique qu’il fait effectivement campagne pour être désigné.

“J’ai croisé Thierry Breton. Il m’a dit qu’il n’était pas candidat, j’en ai conclu qu’il était fermement candidat” s’amusait ainsi un eurodéputé LR auprès de POLITICO cette semaine.

S’il refuse de commenter la situation actuelle de l’entreprise, Thierry Breton s’est exprimé dans l’émission Le Grand Jury du 29 octobre sur la situation d’Atos au moment de son départ : “C’était le numéro un européen en cybersécurité, en supercalculateurs, du cloud, et pas de dette”.

Ses successeurs à la tête d’Atos, eux, n’ont pas hésité à rejeter la responsabilité du fiasco sur le Monsieur industrie de l’Union.

“Le succès du cours de bourse d’Atos dans les années 2010 était en réalité le fruit d’une politique d’acquisitions et d’une forte croissance externe qui a été réalisée avec une sélectivité discutable ou insuffisante et de la signature de contrats dont la rémunération était trop faible au regard des coûts”, déclarait en septembre Bertrand Meunier, PDG d’Atos jusqu’à peu, au quotidien économique La Tribune en septembre.

Depuis, des actionnaires d’Atos ont déposé plainte contre Bertrand Meunier auprès du parquet national financier (PNF) pour sa gestion de la vente, ce qui laisse présager une longue bataille juridique sur la gestion passée et présente de l’entreprise, à quelques mois des élections européennes…

Sollicité sur le détail de la plainte, un porte-parole du PNF en a confirmé l’existence mais s’est refusé à tout commentaire, au motif que l’affaire pourrait être “instrumentalisée” par des intérêts privés.

Atos s’est aussi refusé à tout commentaire au moment du dépôt de la plainte, mais l’entreprise a souligné lors du départ de Bertrand Meunier que celui-ci avait dirigé l’entreprise “avec intégrité et responsabilité”.

Épine dans le pied

Si de l’avis général l’actuel président du groupe Renew à Bruxelles, Stéphane Séjourné fait office de “candidat naturel” pour la tête de liste aux européennes, Emmanuel Macron laisse planer le doute sur le choix qu’il fera.

L’hypothèse Breton, qui fait jeu égal avec Séjourné dans certains sondages, n’est pas écartée mais pâtit notamment du contexte Atos.

“Breton, c’est pas une bonne idée. Avec Atos, il y a des cartouches qui vont lui être tirées dessus”, confiait récemment un parlementaire proche du chef de l’Etat, qui, comme d’autres, nous a parlé sous couvert d’anonymat.

D’autres soulignent que les personnes qui en parlent sont surtout des rivaux internes.

Pour Thierry Breton, l’enjeu est double : être tête de liste Renaissance, c’est être en bonne place pour être le Spitzenkandidat Renew, c’est à dire le candidat du parti et de ses alliés européens pour la présidence de la Commission.

Mais Renaissance doit aussi choisir un candidat capable d’affronter le chef de file du Rassemblement national Jordan Bardella, déjà parti en campagne et redouté sur les plateaux de télévision.

Si Thierry Breton a beaucoup de poids à Bruxelles, certains responsables du parti s’interrogent sur ses capacités à mener une campagne électorale et à séduire des citoyens ordinaires dans son pays d’origine. Sa première et unique campagne électorale remonte à la fin des années 1980.

“Celui qui mènera la liste Renaissance doit être prêt à être mis à nu. Vous devez faire face à cette exposition soudaine, éphémère et brutale”, commentait laconiquement un eurodéputé Renew interrogé la semaine dernière, sous couvert d’anonymat.

Un député Renaissance confiait aussi craindre que Jordan Bardella ne se serve de certaines informations exhumées par la presse contre Breton. En octobre, Le Canard Enchaîné a en effet rappelé que le commissaire européen avait quitté Atos avec une retraite chapeau de 711 000 euros par an. Thierry Breton a également vendu ses actions, pour un montant total estimé à environ 40 millions d’euros avant impôt, lorsqu’il est devenu commissaire, afin d’éviter les conflits d’intérêts.

“Ça n’est pas fait pour l’aider…”, commentait, non sans ironie, un sénateur macroniste, à propos de ces informations.

“Ces droits à la retraite, soumis à des critères de performance exigeants, ont tous été approuvés par l’assemblée générale des actionnaires, année après année”, rétorque un porte-parole du commissaire.

A l’offensive

Pour un fonctionnaire de la Commission européenne, où les faits et gestes du commissaire sont scrutés et l’attention qu’on lui porte souvent jalousée, les problèmes d’Atos sont une “tache sur la carrière de Breton”.

Mais l’entourage de Thierry Breton s’en défend. “Si Atos est aujourd’hui un acteur stratégique, c’est grâce à la transformation menée par Thierry Breton depuis 10 ans, sans endettement supplémentaire”, nous a affirmé un proche. “Ceux dont la seule expérience de l’entreprise se limite à un stage d’observation en classe de troisième feraient mieux de s’abstenir de commenter les performances des capitaines d’industrie.”

Cinq anciens membres du comité exécutif d’Atos ont également publié une tribune défendant le leadership de Thierry Breton en tant que PDG d’Atos contre les “mensonges”, affirmant qu'”Atos a bénéficié de onze années de stabilité managériale” sous son égide.

Thierry Breton, lui, donne de plus en plus l’impression d’être en campagne, se projetant au cœur de l’agenda de la Commission.

Les députés européens à Strasbourg ont ainsi reçu des exemplaires d’un livret sur papier glacé avec son visage sur la couverture, en forme d’abécédaire de l’action du commissaire… De “Munitions” à “Zeitenwende”, il décrit les efforts de la Commission pour faire de l’Europe une puissance géopolitique, avec des photos de Breton sur 12 des 28 pages.

S’il a bien été publié par l’imprimerie de la Commission, son coût était seulement à deux chiffres, selon le même porte-parole.

Une chose est sûre : le choix final de la tête de liste, attendu en mars, sera entre les mains de Macron — et nul ne peut affirmer que les difficultés d’Atos pèseront lourd dans sa décision.

“Ce n’est pas le genre d’affaire qui arrête Macron”, remarquait un membre du gouvernement français qui voit d’un bon œil sa candidature potentielle.

“Entre les élections et les éventuelles conséquences juridiques (de l’affaire), Breton a peut-être un créneau.”

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